Le bouc émissaire, René Girard

 Le bouc émissaire, un livre de René GIRARD, publié chez Grasset, à Paris, en 1982

girard, bouc émissaire

René Girard : le livre fondateur de la prise de conscience contemporaine

La table des matières : I. Guillaume de Machaut et les juifs / II. Les stéréotypes de la persécution / III. Qu’est-ce qu’un mythe ? / IV. Violence et magie /  V. Teotihuacan / VI. Ases, Kourètes et Titans / VII. Les crimes des dieux / VIII. La science des mythes / IX. Les maîtres mots de la passion évangélique / X. Qu’un homme meure / XI. La décollation de saint Jean Baptiste / XII. Le reniement de Pierre / XIII. Les démons de Gérasa / XIX. Satan divisé contre lui-même / XV. L’histoire et le Paraclet

Le synopsis proposé par « le furet.com » : « Œdipe est chassé de Thèbes comme responsable du fléau qui s’abat sur la ville. La victime est d’accord avec ses bourreaux. Le malheur est apparu parce qu’il a tué son père et épousé sa mère. Le bouc émissaire suppose toujours l’illusion persécutrice. Les bourreaux croient à la culpabilité des victimes ; ils sont convaincus, au moment de l’apparition de la peste noire au XIVe siècle, que les juifs ont empoisonné les rivières. La chasse aux sorcières implique que juges et accusées croient en l’efficace de la sorcellerie. Les Évangiles gravitent autour de la passion comme toutes les mythologies du monde mais la victime rejette toutes les illusions persécutrices, refuse le cycle de la violence et du sacré. Le bouc émissaire devient l’agneau de Dieu. Ainsi est détruite à jamais la crédibilité de la représentation mythologique. Nous restons des persécuteurs mais des persécuteurs honteux. « Toute violence désormais révèle ce que révèle la passion du Christ, la genèse imbécile des idoles sanglantes, de tous les faux dieux des religions, des politiques, des idéologies. »

Le résumé proposé par « chapitre.com » : ici

Un compte rendu de lecture, proposé par Jean Marie Paillé : ici

Des citations significatives :

 « L’appétit persécuteur se polarise volontiers sur les minorités religieuses, surtout en temps de crise. » Page 12

« le document décisif est celui de persécuteurs assez naïfs pour ne pas effacer les traces de leurs crimes, à la différence de la plupart des persécuteurs modernes, trop avisés pour laisser derrière eux des documents qui pourraient être utilisés contre. » Page 15

« je ne parle ici que de persécutions collectives ou à résonances collectives. Par persécutions collectives, j’entends les violences commises directement par des foules meurtrières, (…). Par persécution à résonances collectives, j’entends les violences du type chasse aux sorcières, illégale dans leur forme est généralement encouragé par une opinion politique surexcitée. La distinction n’est d’ailleurs pas essentielle. » Page 21

« les persécutions qui nous intéressent se déroulent de préférence dans des périodes de crise qui entraîne l’affaiblissement des institutions normales et favorise la formation de foule, c’est-à-dire de rassemblement populaire spontané, susceptible de se substituer entièrement à des institutions affaiblies ou d’exercer sur celles-ci une pression décisive. » Page 21

« quelles que soient, en effet, leurs causes véritables, les crises qui déclenchent les grandes persécutions collectives seront toujours vécues plus ou moins de la même façon par ceux qui les subissent. L’impression la plus vive est invariablement celle d’une perte radicale du social lui-même, la fin des règles et des « différences » qui définissent les ordres culturels. » Page 22

« ce n’est pas surprenant car elles disent et redisent inlassablement le fait même de ne plus différer la, c’est l’indifférenciation du culturel lui-même et toutes les confusions qui en résultent. » Page 22

« dans une société qui n’est pas en crise l’impression de différence résulte à la fois de la diversité du réel et d’un système d’échanges qui diffère et par conséquent dissimule les éléments de réciprocité que forcément il comporte, sous peine de ne plus constituer un système d’échanges, c’est-à-dire une culture. » Page 23

« la réciprocité, qui devient visible en se raccourcissant pour ainsi dire, n’est pas celles des bons mais des mauvais procédés, la réciprocité des insultes, les coups, de la vengeance et des symptômes névrotiques. C’est bien pourquoi les cultures traditionnelles ne veulent pas de cette réciprocité trop immédiate. » Page 23

« Bien qu’elle oppose les hommes les uns aux autres, cette réciprocité mauvaise uniformise les conduites et c’est elle qui entraîne une prédominance du même, toujours un peu paradoxale puisque essentiellement conflictuelle et solipsiste. » Page 23

«… Ce processus d’uniformisation par réciprocité… » Page 23

« devant l’éclipse du culturel, les hommes se sentent impuissants ; l’immensité du désastre les déconcerte mais il ne leur vient pas à l’esprit de s’intéresser aux causes naturelles ; l’idée qu’ils pourraient agir sur ses causes en apprenant à mieux les connaître demeure embryonnaire. » Page 24

« à première vue, les chefs d’accusation sont assez divers, mais il est facile de repérer leur unité. Il y a d’abord des crimes de violence qui prennent pour objet les êtres qu’il est le plus criminel de violenter, soit dans l’absolu, soit relativement à l’individu qui les commet, le roi, le père, le symbole de l’autorité suprême, parfois aussi dans les sociétés bibliques et modernes, les êtres les plus faibles et les plus désarmés, en particulier les jeunes enfants. Il y a ensuite les crimes sexuels, le viol, l’inceste, la bestialité. Les plus fréquemment invoqués sont toujours ceux qui transgressent les tabous les plus rigoureux, relativement à une culture considérée. Il y a enfin des crimes religieux, comme la profanation d’hosties. Là aussi ce sont les tabous les plus sévères qui doivent être transgressés. Tous ces crimes paraissent fondamentaux il s’attaque aux fondements mêmes de l’ordre culturel, aux différences familiales et hiérarchiques sans lesquels il n’y aurait pas d’ordre social. » Page 25

Voyez ici, ce qu’en dit Jean Marie Pailler, pour la revue Pallas :

 » livre est construit comme un diptyque parfaitement équilibré : sur les 300 pages de l’édition de poche, 150 (les huit premiers chapitres) portent sur l’univers mythique, les 150 autres (chapitres 9 à 15) traitent de la révélation évangélique, dans le sens bien spécifique que Girard donne au terme « révélation ». D’un mot, on dira que pour lui les récits de la Passion sont le premier et unique texte religieux à désigner, mieux : à exalter la victime comme innocente. Ainsi, dit-il, a été démasquée la réalité persécutrice qui se dissimulait derrière les mythes et les rites sacrificiels communs aux traditions antérieures. (…) Le mythe, objet du chapitre III, porte selon Girard la trace obscurcie, voire dissimulée du phénomène de persécution. Mais dans le cas des sociétés mythico-rituelles, celles dont s’occupe l’ethnologie, les savants ne peuvent ni ne veulent percevoir cette vérité dérangeante. Celle-ci éclate pourtant avec le héros tragique de l’Œdipe roi de Sophocle. Tous les « stéréotypes de persécution » y sont présents : la peste accable Thèbes ; Œdipe a tué son père et épousé sa mère ; ce parricide incestueux, jadis enfant exposé, est en apparence étranger, il est boiteux et, en fait, roi et fils de roi ; il porte donc tous les signes victimaires de celui qu’il faut expulser, pestiféré parmi les pestiférés. Ici, « les stéréotypes sont plus complets et plus parfaits que dans le cas de Guillaume [de Machaut] » (p. 41). (…) Les analyses parallèles des trois « cas » du Baptiste décapité (Hérode rival de son frère, Hérodiade et sa fille, la danse qui entraîne Hérode dans la ronde mortelle des banqueteurs…), de Pierre renégat (ah, l’attraction mimétique de ce cercle autour du feu, appel sans remède à l’abandon du maître et de la cause !) et du possédé de Gérasa donnent lieu à des développements dont l’originalité ressort de leur confrontation avec les exégèses traditionnelles, si savantes et modernes soient-elles. Girard s’appuie de préférence sur le texte de Marc, dans ce qu’il a de brut, de direct et d’« archaïque ». Pour le « démoniaque » de Gérasa, on est frappé de constater qu’un commentaire récent de l’évangile de Marc, qui fait autorité, celui de S. Légasse (1997), néglige le chapitre du Bouc émissaire et n’apporte que des précisions érudites, d’ailleurs incertaines, sur la localisation de l’épisode (Mc 5, 1-17) ; il donne aussi une interprétation sèche et discutable, en termes de « coloration militaire », de la « Légion » qui habite le possédé…(…)

Dans le livre, nous trouvons aussi :

« Les persécuteurs finissent toujours par se convaincre qu’un petit nombre d’individus, ou même un seul peut se rendre extrêmement nuisible à la société tout entière, en dépit de sa faiblesse relative. » Page 25

« il y a là un système et s’il faut absolument des causes pour le comprendre, la plus immédiate et la plus évidente nous suffira. La terreur inspirée aux hommes par l’éclipse du culturel, la confusion universelle qui se traduit par le surgissement de la foule ; celle-ci ne fait qu’un, à la limite, avec la communauté littéralement dédifférenciée, privée de tout ce qui diffère les hommes les uns des autres dans le temps et dans l’espace : voici en effet, qu’ils se rassemblent de façon désordonnée en un seul lieu et dans un même moment. » Page 26

« Il arrive que les victimes d’une foule soient tout à fait aléatoires ; il arrive aussi qu’elles ne le soient pas. Il arrive même que les crimes dont on les accuse soient réels, mais ce ne sont pas eux, même dans ce cas-là, qui joue le premier rôle dans le choix des persécuteurs, c’est l’appartenance des victimes à certaines catégories particulièrement exposées à la persécution. » Page 28

« il existe donc des traits universels de sélection victimaire… » Page 29

« à côté des critères culturels et religieux, il y en a de purement physiques. La maladie, la folie, les difformités génétiques, les mutilations accidentelles et même les infirmités en général tendent à polariser les persécuteurs. » Page 29

« l’infirmité s’inscrit dans un ensemble indissociable du signe victimaire et dans certains groupes — à l’internat scolaire par exemple — tout individu qui éprouve des difficultés d’adaptation, l’étranger, le provincial, l’orphelin, le fils de famille, le fauché, ou, tout simplement, le dernier arrivé, et plus ou moins interchangeables avec l’infirme. » Page 29

«… lorsqu’un groupe humain a pris l’habitude de choisir ses victimes dans une certaine catégorie sociale, ethnique, religieuse, il tend à lui attribuer les infirmités ou les difformités qui renforceraient la polarisation victimaire si elles étaient réelles. » Page 30

« le moindre regard sur l’histoire universelle révèle que les risques de mort violente aux mains d’une foule déchaînée sont statistiquement plus élevés pour les privilégiés que pour toute autre catégorie » page 30

« à la limite ce sont toutes les qualités extrêmes qui attirent, de temps en temps, les foudres collectives, pas seulement les extrêmes de la richesse et de la pauvreté, mais également ceux du succès et de l’échec, de la beauté et de la laideur, du vice de la vertu, du pouvoir de séduire et du pouvoir de déplaire ; c’est la faiblesse des femmes, des enfants et des vieillards, mais c’est aussi la force des plus forts qui devient faiblesse devant le nombre. » Page 30

« très régulièrement les foules se retournent contre ceux qui ont d’abord exercé sur elle une emprise exceptionnelle. » Page 30 — 31

« l’exécution de Marie-Antoinette est-elle donc extérieure à notre schéma. La reine appartient à plusieurs catégories victimaires préférentielles ; elle n’est pas seulement reine mais étrangère. Son origine autrichienne revient sans cesse dans les accusations populaires. Le tribunal qui le condamne est fortement influencé par la foule parisienne. Notre premier stéréotype est également présent : on retrouve dans la révolution tous les traits caractéristiques des grandes crises qui favorisent les persécutions collectives. Les historiens n’ont pas l’habitude, certes, de traiter les données de la révolution française comme des éléments stéréotypés d’un seul et même schéma persécuteur. Je ne prétends pas que cette façon de penser doive se substituer partout à nos idées sur la révolution française. Elle n’en éclaire pas moins d’un jour intéressant une accusation souvent passée sous silence mais qui figure explicitement au procès de la reine, celui d’avoir commis un inceste avec son fils. » Page 32

« les catégories victimaires paraissent prédisposées aux crimes indifférenciateurs » page 34

« ce n’est pas l’autre nomos qu’on voit dans l’autre mais l’anomalie, ce n’est pas l’autre norme, mais l’anormalité ; l’infirme se fait difforme ; l’étranger devient l’apatride. » Page 34 — 35

« contrairement à ce qu’on répète autour de nous ce n’est jamais la différence qui obsède les persécuteurs ici toujours son contraire indicible, l’indifférenciation » page 35

«… Crise, crimes, critères, critiques, remontent tous à la même racine, au même verbe grec krino, qui signifie non seulement juger, distinguer, différencier, mais accuser et condamner une victime. » Page 35

« Cette tradition (celle de Rome) est intéressante en ceci qu’elle rend la collectivité tout entière responsable du meurtre fondateur » p.139

« (…) l’obligation pour toute une communauté de se fonder et se s’ordonner à partir d’une violence radicalement destructrice dans son principe et qui devrait rester telle jusqu’au bout mais dont on ne sait par quel miracle la collectivité a pu différer la violence, par quel sursis divinement octroyé cette violence est devenue provisoirement édificatrice et réconciliatrice » p.139

« Le scandale est toujours contagieux » page 254.